Incipit de Voyage au bout de la nuit : l’enrôlement de Bardamu

Dans cet extrait de l’incipit de Voyage au bout de la nuit, Céline fait un sort au patriotisme en évoquant la désillusion du jeune Bardamu, double de lui-même, dont il raconte l’enrôlement avec un grand sens du burlesque.

 Ca a débuté comme ça. Moi, j’avais jamais rien dit. Rien. C’est Arthur Ganate qui m’a fait parler. (...) Mais voilà-t-y pas que juste devant le café où nous étions attablés un régiment se met à passer, et avec le colonel par-devant sur son cheval, et même qu’il avait l’air bien gentil et richement gaillard, le colonel ! Moi, je ne fis qu’un bond d’enthousiasme.

« J’vais voir si c’est ainsi ! que je crie à Arthur, et me voici parti à m’engager1, et au pas de course encore.

— T’es rien c..., Ferdinand ! » qu’il me crie, lui Arthur en retour, vexé sans aucun doute par l’effet de mon héroïsme sur tout le monde qui nous regardait.

 Ca m’a un peu froissé qu’il prenne la chose ainsi, mais ça m’a pas arrêté. J’étais au pas. « J’y suis, j’y reste ! » que je me dis.

« On verra bien, eh navet ! » que j’ai même encore eu le temps de lui crier avant qu’on tourne la rue avec le régiment derrière le colonel et sa musique. Ca s’est fait exactement ainsi.

 Alors on a marché longtemps. Y en avait plus qu’il y en avait encore des rues, et puis dedans des civils et leurs femmes qui nous poussaient des encouragements, et qui lançaient des fleurs, des terrasses, devant les gares, des pleines églises. Il y en avait des patriotes ! Et puis il s’est mis à y en avoir moins des patriotes... La pluie est tombée, et puis encore de moins en moins et puis plus du tout d’encouragements, plus un seul, sur la route.

 Nous n’étions donc plus rien qu’entre nous ? Les uns derrière les autres ? La musique s’est arrêtée. « En résumé, que je me suis dit alors, quand j’ai vu comment ça tournait, c’est plus drôle ! C’est tout à recommencer ! » J’allais m’en aller. Mais trop tard ! Ils avaient refermé la porte en douce derrière nous les civils. On était faits, comme des rats.


Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit, 1932

 

1 S’engager : s’enrôler dans l’armée

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Résumé

Alors que Ferdinand Bardamu prend un café place de Clichy avec son ami Arthur, un régiment de soldats passe fièrement. Bardamu, voulant se distinguer par son héroïsme et son patriotisme, s’engage alors dans l’armée sans réfléchir. Mais la liesse populaire va vite laisser place à la solitude et à la désillusion. Trop tard pour déserter cependant…
Œuvre : Voyage au bout de la nuit
Auteur : Louis-Ferdinand Céline
Parution : 1952
Siècle : XXe
Place de l'extrait dans l'œuvre : incipit

Thèmes

armée, patriotisme, enrôlement, mobilisation, guerre, désillusion

Notions littéraires

Narration : 1re personne
Focalisation : Interne
Genre : Roman, Autobiographie, Autofiction
Dominante : Narratif
Registre : Burlesque, Ironique, Lyrique, Pessimiste
Notions : niveaux de langue, discours rapporté, sociolecte, types de phrases

Entrées des programmes

  • 3e - Agir sur le monde : agir dans la cité : individu et pouvoir - œuvre portant un regard sur l’histoire du XXe siècle
  • 2nde - Le roman et le récit du XVIIIe au XXIe siècle

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